Je vous propose de nous replonger dans cette loufoquerie classiquement eighties structurée par Cécile.
Ce cocktail, pailleté et luminescent, est un salmigondis cohérent d'essences de Molière, un élixir pop rehaussé d'effluves de Tchekhov, le tout assaisonné par une pincée d'épice Inconnue, passé au Daumier et roulé dans le Bedos, puis caramélisé avec Amour à grands feux.
La Laurentia s’est embrasée en ce mois de juin de l’an 2024.
Saluons l’énergie de ses interprètes ! Ils ont maintenu leur sérieux dans leur joyeuseté (et vice et versa). Ils sont restés stricts dans leur grandiloquence (et vice et versa). Ils sont demeurés inébranlables malgré l'ivresse des vers déclamés et la musicalité des verres réclamés (pas vice et versa… quoique…).
Réverbère volant
En scène apéritive nous eûmes droit à une reprise du fameux sketch du quintette de comiques “Les Inconnus” de la période où ils n'étaient plus que 3 (donc un trio), délicatement intitulé "Les pétasses".
Saviez-vous que le mot "pétasse" désignait initialement une prostituée débutante ? Mise en perspective intéressante dans le cas présent. Nous avons des personnes débutantes ou guère aguerries qui vont faire usage de leur corps pour donner plaisir et satisfaction à des inconnus en jouant des personnages désignés par un terme dont l'étymologie fait référence à une activité exercée par des personnes débutantes de donner du plaisir par son corps à des inconnus contre rémunération…
Et là aussi, analogie troublante, la majorité (en fait l'intégralité) de la recette n'a point bénéficier à nos prolétaires du théâtre, à nos stakhanovistes de la scène, mais à la grande orchestratrice de cette sauterie… De là à assimiler la Grande Directrice à une mère maquerelle, à une tenancière de maison de petite vertue, il y a une série de pas que je m’abstiendrais de franchir…
J’dis ça, je dis rien… Me faites pas dire c’que j’ai pas dit…

Revenons au cœur de notre sujet, le sketch des Inconnus connus.
Dois-je vous faire l’affront de vous le présenter ? S’il vous plait, répondez tous oui, que je ne ressente pas trop le marqueur (le gouffre ?) générationnel ! Que j’écarte au loin cette triste pensée que l’écoulement inaltérable et irréversible du temps me conduit lentement vers les funestes 3 coups de marteau finaux. Las ! Point je n'évoque ici ceux frappaient au lever de rideau de théâtre, lorsque démarre le représentation, mais ceux qui retentiront à la baisse définitive du voile mortuaire. Ces 3 heurts, coups de marteau enfonçant le dernier clou fermant irrémédiablement mon cercueil, seront les trompettes annonciatrices de mon arrivée au royaume d’Hadès…
(Soupirs…)

Quoiqu’il en soit, cette introduction comique fut fort appréciée de l’audience. Et même si cela fut une découverte pour certaines et certains, une communion intergénérationnelle s’opéra.
Cool !
Parade de conquête
La construction des rapports et des liens sociaux passent aussi par des gestes, des postures, des actions et des interactions physiques, sans qu'échange de mots ne soit (forcément) nécessaire.

Ainsi, le processus de séduction (depuis la tentative jusqu'à la réussite ou l'échec) lors de la recherche d'un(e) partenaire sexuelle (soit dans un pur cadre récréatif ou dans un cadre reproductif) s'opère parfois par une parade devant à la fois respecter certaines conventions informelles et des usages variant selon le fonds culturel mais aussi laissant place à parfois une certaine dose d'entreprise. Toute la difficulté, nonobstant la forme de, pour employer un terme trivial, de "l'alchimie" entre les individus, est que les protagonistes fassent consensus tacites sur les conditions d'exécution de ce rite social.

C'est ainsi que l'on peut catégoriser la danse dans le contexte que certains nomment "pécho" en faisant abstraction des dimensions sportives, récréatives ou de performances.
En lever de rideau, nous pûmes observer, tels des ethnologues-sociologues, l'amorçage et la foirade de la drague par la danse par la reprise du numéro du couple Sophie Daumier / Guy Bedos.
Instructif.
Du caractère superfétatoire de la substitution d’une déficience flagrante de profondeur cognitive par l'exagération d’une futilité clinquante, ou comment l'oeuvre de Monsieur Molière fut remis au goût du jour en terme de critique de la vacuité du paraître et de la prévalence de l’effet de halos dans la perception d’autrui.

Par ce titre de section condensé (oui, je suis un d’Artagnan de l’humour, le sens comique est mon fleuret agile) est introduit le plat de résistance du show, la poutre centrale du spectacle qu’est la reprise tout en paillettes et en clinquant de la pièce “Les précieuses ridicules” du gars Jean-Baptiste et “vintagisée” par la fille Cécile.

Là aussi, dois-je vous rappeler le sujet de la pièce ?
Quoi ? Hein ? Non ! ce n’est pas un marqueur générationnel dans le cas présent, je n’étais pas né à la création originelle. Oh ! Hé ! Allez vous faire remplir de tessons de bouteilles l’orifice défécatoire !
Pour les 2 ou 3 “ignorants”, voici un petit résumé en alexandrin (alors vous emballez pas, je n’en suis pas l’auteur, juste le père géniteur et ChatGPT la mère porteuse…).
Dans Paris habitaient deux jeunes demoiselles,
Madelon et Cathos, aux manières trop belles.
Voulant paraître nobles, élégantes, parfaites,
Elles rejetèrent deux honnêtes conquêtes.
Deux galants fort sincères, mais sans airs raffinés,
Furent par les précieuses cruellement moqués.
Alors, pour se venger de ces folles coquettes,
Ils envoient deux laquais jouer les aristos chouettes.
Mascarille et Jodelet, sous habits empruntés,
Se font passer pour nobles de haute société.
Les précieuses, charmées par ces fausses apparences,
Tombent sous le charme avec grande insouciance.
Mais la supercherie éclate au grand jour,
Et nos belles perdent tout leur air de glamour.
Moquées, ridiculisées, leur orgueil s’effondre,
La leçon est amère, et les fait bien redescendre.
Pour corser l’ensemble, des morceaux de Tchekov (ceci est une allégorie, une image, une illustration et non une réalité, personne n’a été le déterré…) au travers de son oeuvre “La demande en mariage”, furent insérés avec finesse et intelligence. À l’instar du contraste fortifiant qu’apportent des cerises au kirch glissées dans la crème soyeuse et épaisse de ce gâteau aujourd’hui démodé qu’est la “forêt noire”, ce classicisme russe réhaussent les enjeux qui nous sont ici offerts, tant d’un point de vue de dramaturgie narrative que d’un point de vue d’interprétation scénique.


Dois-je vous remémorer ce grand classique d’Anton ? Alors là, s’il vous plait, répondez que vous n’en n’avez pas besoin, mentez sans vergogne, parce sinon vous serez comme gros-jean comme devant si vous comptez sur moi… Parce que biiiiennnn sûûûûûûûûûr, je connaissais… Mais que là, pour une obscure raison qui ne vous concerne pas, je ne peux pas, et ce n’est certainement pas parce que je ne connais pas cette pièce… Aaaaaabsoooooluuuuuument pas !
Je vous sens perdu… Parce que je suis 50% bonté, 50% philanthropie et 50% amour, voici un résumé dressé par ChatGPT en argot, car pourquoi pas ? :
“Ok, alors, t’écoutes bien. Dans *La demande en mariage* de Tchekhov, y a ce gars-là, Lomov, un bonhomme stressé à mort, il décide d’aller taper à la porte de sa voisine, Natalia, pour lui demander sa main. Lui, il se dit que c’est le moment de se caser, t’as vu ? Sauf que quand il débarque chez elle, ça part vite en cacahuète. Au lieu de se causer tranquille, ils commencent à se prendre la tête pour des broutilles, genre des bouts de terrain ou des chiens, tu vois le genre ?
Le mec est tellement nerveux qu’il finit par s’évanouir. La vieille du coin, la daronne de Natalia, croit qu’il est raide mort. Mais quand il reprend ses esprits, paf, ils se marient direct, comme ça, pour calmer le jeu. Une vraie embrouille d’amoureux à la russe, quoi.”
Naturellement, tout cela, je le savais déjà…

Coupure savonneuse
Pour initier l’entracte, et par décence pour ceux qui par leur présence dans la salle, loupèrent le 12 456 ème épisode des Feux de l’Amour une reprise en live nous fut proposée.
Qu’elle noble et impérieuse mission que de porter aux vues du plus grand nombre ce moment primordial de la pop culture, cette pierre angulaire du développement de l’intrigue de ce soap au long cours.
Merci ! Thank you ! Danke schon ! Gracias ! Arigatō ! Tack !
Quelle tension dramatique ! Quel suspens !
Quoi ? Qu’avons-nous appris ?
Stephen et Bryan ont eu un fils ensemble alors que Sharon, la 2ème et 5ème épouse de Bryan est enceinte de l’oncle défunt du frère de Stephen, qui igone encore que son père Peter est en fait la cousine de la mère de Sharon que l’on croyait disparue dans un accident de parapente au Venezuela et qui a été retrouvé amnésique par des moines qui l’ont fait passer pour un garçon pour qu’elle ne soit pas chassée du monastère et a été ensuite adoptée par un couple d’aveugles roumains qui ont émigré à Santa Barbara en 1974 ? (1)
Incroyable !
Je suis sous le choc…
Nous voulions en savoir plus…


Hélas, des choix “artistiques” drastiques furent opérés, sacrifiant les “Feux de l’Amour” sur l’autel des vers en douze pieds de celui que certains soupçonnent de n’avoir été qu’un porte-nom de Corneille (l’écrivain, pas le chanteur ni l’oiseau) et de l’autre tuberculeux pré-soviétique..
Reprise inconnue (et non d’Inconnus)
Mais avant la reprise de la trame principale du spectacle, juste avant la levée du rideau sur le segment final, une transition en douceur entre les univers du soap et de la comédie classique fut jouée au travers de la virilité et de la sensibilité d’un duo déclamant dans une spiritualité alcoolisée un autre emprunt fait à Molière.

Mille excuses… On me l’a dit, mais je n’ai pas retenu de quelle œuvre il s’agissait… C’est bien du Molière, et non du Tchekov malgré la présence d’une bouteille de vodka (les gens.!? Comment vous raisonnez par clichés et stéréotypes racistes… franchement… c’est pas joli, joli…).

Nous avons bien ressenti les enjeux de la déconstruction du modèle patriarcal et de la reconstruction du modèle néo-patriarcal (faut pas déconner, on garde le pouvoir). Furent incarnés avec justesse et sobriété le doute masculin, l'errance référentielle, la remise en cause testostéronée…
Final ornithologique : de l’union d’étourneaux jouvenceaux puis de la chute des grues pimbêches et des hérons falots
Alors que les enjeux furent posés dans la première partie de ce conglomérat théâtral, cette section verra la résolution des deux fils conducteurs, à savoir l’union de deux tourtereaux d’après Tchekhov (voir résumé argotique supra) et la mise à nu des fifrelins d’après Molière (voire synthèse alexandrique supra)...


Bien que mandatés par leurs maîtres pour humilier les falotes gourgandines, certains se laissèrent prendre au jeu de l'apparat, de la mystification et de la suffisance de soi. Bien que sûres de leur attractivité pour capturer le bon parti, certaines se laissèrent prendre au jeu de l'esbroufe, de la fanfaronnade et du factice.

Tandis que d'autres, incertains et effrayés prirent des chemins biens circonvolus pour enfin se réunir et s'unir afin de satisfaire à une norme, à une attente familiale, à un impératif culturel.




Qu’en dire ?
Entre néons et lumières noires, entre paillettes et strasses, comédiennes et comédiens amateurs de par l’absence d’engagement professionnel, mais professionnels de par l’engagement personnel, se donnèrent, cœurs sincères malgré les tripes tendues. Sans retenue, sans fausse pudeur, ils offrirent leur corps au VIème art, à la scène, à Dionysos, aux muses Melpomène et Thalie, et surtout, à toi, public !
Tous furent bien des Pétasses, avec un P majuscule, magnifiques, grandioses, sublimes et somptueuses ! (2)
Grave cool !


(1) Alors en fait, ce n'était pas cela, mais hein, vous voyez le genre...
(2) Enfin, sauf une des personnes d'après la metteuse en scène mais pour ne pas la mettre en porte-à-faux, je tairais le nom de la brebis galeuse... Indice, cette personne est un homme ou une femme... Mais chut...
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