Orléans, janvier 2023
Nous avons récemment confronté notre “héroïsme” moderne à l'aune de l’imposante ombre que la bravoure guerrière d’Achille projette sur notre morne routine (Lire ICI).

Non loin du preux combattant Achille, toujours aux abords du Musée des Beaux-Arts d’Orléans (Voir sur une carte), une autre œuvre tératologique, à la musculature disproportionnée, à l'ossature brutale, aux membres hypertrophiés ou absents, nous questionne. Telle est Daphné de Markus Lüpertz.
Tératologie : science des anomalies de l’organisation anatomique, congénitale et héréditaire, des êtres vivants. La discipline a longtemps été assimilée à l’étude des « monstres » humains et animaux. L’histoire de la tératologie est intimement liée à celles des mythes et des légendes produites par les civilisations humaines.
Une certaine perplexité assombrissante flotte comme une voile de brume laiteuse sur le lac limpide de ma compréhension de ce qui nous est présenté… Certes, j’exprime mon doute avec un certain abus de l’emphase et le style littéraire ampoulé d’un collégien, mais un doute m'assaille...
L'inspiration de cette oeuvre est-elle réellement le mythe que je connais ?

Pour comprendre ma perplexité, commençons par nous replonger dans le mythe daphnéen, celui de l'amour contraint, et essayons ensuite de le retrouver dans cette sculpture, de comprendre son évocation et les figures allégoriques ou métaphoriques.
Les historiens et les hellénistes ne savent faire consensus sur sa nature : était-elle une simple mortelle ou une nymphe, une déesse de rang mineur ? Chacune et chacun a sa grille de lecture, son interprétation. Mais la beauté de Daphné est unanimement reconnue et établie.

Suite à une série d'évènement, par orgueil, par suffisance, par inconscience ou par fierté, nul ne le sait, Apollon, un jour, se moqua d’Eros. La divinité de l’Amour se vengea alors du Dieu de la Lumière, des Arts et de la Divination avec cynisme et dédain. Se faisant, il fit de Daphné, bien qu’étrangère à cet affrontement d'egotrip, la principale victime.
Deux flèches furent décochées, une d'or dans le cœur d’Apollon, une de plomb dans celui de Daphné.
Hystériquement amoureux ne put s’empêcher d’être le Dieu.
Dans une indiscutable et inflexible insensibilité à cet amour fut murée la Nymphe.
Poursuivie d’attentions démesurées, harassée de démonstrations effrénées, lasse de fuir cette adoration divine exagérée et fausse, désireuse d’être en paix, elle supplia Zeus de la dérober de l’obsession d’Apollon. Exaucée fut sa demande, et en laurier elle se mua.
«S’il est vrai que les fleuves ont la puissance des dieux, ô mon père, secourez-moi. Détruisez, en me changeant, cette beauté qui cause mon malheur». À peine elle achevait cette prière, que ses membres s’engourdissent. Une écorce légère enveloppe son sein délicat. Ses cheveux verdissent en feuillage, ses bras s’allongent en rameaux. Ses pieds, naguère si rapides, prennent racine et s’attachent à la terre. La cime d’un arbre couronne sa tête. Il ne reste plus d’elle-même que l’éclat de sa beauté passée.
Ovide - Métamorphoses livre I.
Mais échappe-t-on si facilement à un enchantement divin ?
Et pourtant Apollon l’aimait ; sur le tronc il posa sa main et sentit sous l’écorce son cœur qui battait encore, tenait dans son étreinte ses branches, déposait ses baisers sur le bois ; pourtant de ses baisers le bois recula. « Ma fiancée, dit-il, puisque tu ne pourras jamais être, du moins, un doux laurier, tu seras mon arbre. Mon leurre, mes boucles, mon carquois tu vas tisser. . . . Ainsi parla le dieu ; le laurier en signe d’assentiment inclina ses branches nouvellement faites et se pencha, ou sembla se pencher, sa tête.
Ovide - Métamorphoses livre I.
Source : https://sirenas.fr/nymphe-daphne/
Nous arrivons donc à mon interrogation... Que représente cette tête sur laquelle un pied vindicateur est posé en signe de conquête, de victoire ?
Est-ce bien la Daphné de la mythologie grecque ?
Je n’ai pas la réponse… Existe-t-il une réponse ?





L'artiste : Markus Lüpertz, un Faiseur de Dieu
Peintre d'origine allemande, Markus Lüpertz, (1941) est aussi décorateur de théâtre et sculpteur.
Il est considéré comme un des plus importants représentants du néo-expressionnisme allemand. Surnommé « le prince des peintres » pour ses apparitions publiques spectaculaires, pour son utilisation d’une rhétorique égocentrique et pour son style de vie extravagant.
Son mélange de figuration et d’abstraction tend à simplifier les formes tout en amplifiant leurs caractéristiques dans des œuvres à grande échelle qui décrivent des gros plans de têtes et de visages. Bien que l’utilisation de certains thèmes historiques allemands suscite la controverse, Lüpertz reste convaincu qu’il est nécessaire de les affronter.
Sources : Wikipedia ; Artnet ; La République du Centre
Photo : Wikipédia
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